De l'autre côté du fleuve Sénégal 11/11/14 (6300km)


Tout d’abord, un grand merci à vous tous qui votez pour nous et de tous vos mails de soutien qui nous font bien plaisir !

Nouakchott
Nous avons passé quatre jours fort sympathiques à Nouakchott dans la famille de Ibrahima. Nous avions contacté Ibrahima une dizaine de jours auparavant car il travaille pour l’ONG Banlieues du Monde Mauritanie dont il est le fondateur. Parmi toutes ses actions, l’ONG travaille notamment pour la promotion d’une pompe à pédales servant à l’irrigation, d’un foyer amélioré pour la cuisine et d’un séchoir de fruits, légumes et poissons. Ces projets nous intéressant, nous lui avons proposé de réaliser un court métrage sur leurs actions.

Ibrahima vient donc nous chercher à l’entrée de la ville et nous suivons sa voiture jusque chez lui. Nouakchott est un véritable capharnaüm , des épaves de voitures dans tous les sens qui doublent à gauche comme à droite les carrioles à âne perdues au milieu du trafic. Aucune règle de circulation n’est respectée et au final, nous ne sommes pas malheureuses d’être à vélo : sur le trajet, le 4x4 d’Ibrahima se fait rayer deux fois ! Nous retournons le lendemain pour faire des images de ce fouillis urbain qui nous change tant, après trois semaines passées dans le désert.

Avec les enfants d'Ibrahima
Ibrahima habite dans une très grande maison en périphérie. Il est père de 5 enfants mais a bon nombre de neveux et nièces à sa charge. En effet, étant donné qu’il est originaire d’une famille rurale dans le sud de la Mauritanie, certains de ses 11 frères et soeurs lui confient leurs enfants pour les scolariser à la capitale. Chose tout à fait naturelle dans une famille africaine : la famille, c’est la grande famille, tout le monde est ensemble. Ibrahima nous raconte par exemple qu’il a été élevé jusqu’à l’âge de 10 ans par sa tante car le frère aîné de son père n’avait pas encore d’enfant. Toujours est il que nous mettons quatre jours à distinguer qui sont les enfants biologiques étant donné que tout le monde appelle Ibrahima papa !
Une partie de la famille
Ibrahima est d’origine peul et nous explique qu’en Mauritanie, se côtoie une population très diverse : les Maures tout droit venus du Sahara occidental, les Haratins, anciens esclaves des Maures, les Peuls mais aussi des Soninkés et bon nombre d’autres ethnies. Entre eux, l’entente est cordiale mais ils ne se mélangent pas, les mariages mixtes sont des “accidents de parcours”. La religion musulmane les réunit tous.

Etant donné que les Peuls sont aussi très présents  au Sénégal, nous goutons des spécialités communes aux deux pays : le mafé (riz et viande de mouton accompagné d’une sauce à base d’arachide), couscous, thiéboudienne (riz et poisson, plat national au Sénégal). Les cuisinières (deux nièces) sont expertes et chaque plat est un véritable délice… Nous mangeons toujours avec les hommes alors que les femmes mangent avec les enfants. Tous ensemble assis par terre, à la main ou à la cuillère dans un grand plat. A tous les repas, nous sommes étonnées de manger avec au moins un monsieur différent : que ce soit le prof particulier des enfants, le chauffeur, etc… cette maison est une véritable plaque tournante et tout le monde est invité à manger, preuve de la grande générosité d’Ibrahima.

Ce dernier nous fascine beaucoup : il a longtemps étudié à l’étranger et aurait pu rester y travailler sans problème, mais il a toujours voulu rentrer en Mauritanie, convaincu de pouvoir faire avancer les choses dans son propre pays.

tournage à Nouakchott
Le tournage des différentes activités se passe bien et nous réalisons environ 6 interviews, en peul pour la plupart. Ibrahima nous aide à la traduction, quand ce n’est pas toute la famille qui s’y met ! Nous ferons le montage sur le bateau entre le Sénégal et le Brésil pour profiter au maximum du petit mois qu’il nous reste sur la terre ferme. Le dernier soir, nous réalisons une projection avec tous les enfants de la famille. Une fois de plus, ils sont tout contents de pédaler à tour de rôle et c’est pour nous une bonne façon de dire merci à tout le monde.

Nous profitons de notre passage à Nouakchott pour faire les visas du Sénégal. Une nouvelle formalité (il n’y a même pas deux ans, personne n’avait besoin de visa pour entrer au Sénégal) qui malgré son apparence très “pro”  n’est en fait qu’une grosse blague pour gagner un peu de sous. Il faut en effet réaliser un pré enrôlement sur internet en présentant une copie du passeport, de la réservation d’hôtel et du billet d’avion. N’ayant ni l’un ni l’autre de deux derniers items, nous demandons conseils à l’ambassade qui nous dit : “la réservation d’hôtel et le billet d’avion, c’est pas la peine, ne les mettez pas et insistez sur le site internet, ça va passer…” De là, nous nous rendons compte qu’à la place de la photo de notre passeport, on aurait pu mettre une photo de mamie en maillot de bain, on aurait eu notre visa quand même, tant que l’on paye les 50 euros…
 
Après ces quatre jours bien remplis, nous continuons notre route vers le Sénégal. Les paysages n’ont rien à voir avec les dunes que nous promettait la carte Michelin. La route est parsemée de petits villages et de tentes. Là encore, les gendarmes sont là pour nous aider et nous passons la nuit à côté de leur poste.
 
En Mauritanie, nous sommes surprises de ne pas trouver tant de sacs plastique jetés partout. Nous nous renseignons et apprenons que contrairement à ses voisins marocains et sénégalais, le gouvernement mauritanien a officiellement interdit la distribution de sacs plastiques dans les magasins. Cette règle est plutôt bien respectée et l’on nous propose toujours des sacs en papier ou en tissus.
le bitume en coquillages

Autre filière locale intéressante : celle des coquillages qui servent partout dans le BTP, pour construire les routes et les maisons, les coquillages sont la matière première principale !

Nous nous posons la question de quelle frontière prendre : A l’est, la frontière de Rosso dont la réputation est exécrable et à l’ouest la frontière de Diama, plus tranquille mais pas goudronnée jusqu’au bout. Nous optons pour Rosso où il serait bien que nous filmions une pompe à pédales avant de passer au Sénégal.

N’ayant plus assez d’Ouguyas pour payer l’hôtel, nous optons pour une nuit au commissariat de police. On nous dit de continuer tout droit pour le trouver. Nous arrivons à une énorme porte métallique et tout de suite 4 ou 5 personnes nous tombent dessus pour faire des photocopies de passeport. Le gendarme à la porte nous confirme : la photocopie est obligatoire, il nous gueule dessus, bienvenues à la frontière. Nous finissons par trouver le commissariat en centre ville. Après être passées demander l’autorisation du chef suprême de la police, nous obtenons l’autorisation de planter la tente dans la cour du commissariat. Le lendemain, après avoir filmé l’unique pompe à pédales de Rosso, malheureusement hors d’usage, nos amis policier nous proposent de nous escorter jusqu’au bac (la frontière Mauritanie/Sénégal est formée du fleuve Sénégal qu’il faut traverser en bateau). Nous acceptons la proposition de bon coeur : ce qui nous aurait pris toutes seules deux bonnes heures, ne nous prend qu’un quart d’heure : les portes métalliques s’ouvrent toutes seules, pas besoin de photocopies qui ne servent qu’à faire payer les étrangers, le policier a un effet d’anti moustiques, personne ne nous saute dessus pour nous proposer ses “services”, il nous fait le tampon en 5 minutes et nous évite même de payer de faux billets de bac. Il nous laisse sur le ferry en nous souhaitant bonne chance pour le deuxième round.
traversée du fleuve Sénégal

Dès notre arrivée côté Sénégal, un policier chope nos passeports et nous fait poireauter. Nous ne le lâchons pas des yeux jusqu’à ce qu’il daigne nous accompagner au poste de douane. Là, il convoque Maylis pendant que Lucia surveille les vélos. “Ça fera 10 000 FCFA par personne”. Gloups, début du marchandage… Nous lui expliquons que l’on a bien regardé sur le site internet, que l’on a pris le soin de faire nos visas à l’ambassade de Nouakchott, rien à faire, c’est la règle, il faut payer.  Il finit par céder quand on lui explique que l’on vient de se taper 6000km à vélo pour arriver dans son pays : “c’est bon, je suis avec vous, on va vous faire le tampon”. A côté de nous, les deux autres Français ont payé en Mauritanie et au Sénégal… Ils nous expliquent qu’ils avaient tenté de passer en voiture quelques années auparavant et qu’ils avaient été obligés de l’abandonner à la frontière face aux sommes astronomiques demandées par la police. En effet, une belle file de voitures immatriculées en France attendent patiemment que quelqu’un vienne les récupérer. Vive le vélo !

Nous quittons le plus vite possible cette frontière alors qu’un autre gars essaye de racquetter Lucia sous prétexte qu’il lui a ouvert la porte.

Les premiers tours de roue au Sénégal sont plus plaisants, malgré le vent de face. Nous retrouvons avec plaisir la verdure des rizières, au rythme des percussionnistes qui jouent pour faire fuir les oiseaux.

Nos premiers hôtes sénégalais


Nous passons la nuit en famille et plantons la tente au milieu de la concession. Nous regardons la télévision sénégalaise avec notre hôte et tombons en admiration face au défilé du plus beau mouton du Sénégal. Ne sachant trop que voter, nous nous reportons au vote du jury qui proclame mister mouton du Sénégal 2014 un beau mâle de 137kg ! La classe !





Fils de Baye
 Dans la famille, tout le monde parle Wolof, la langue nationale du Sénégal mais la plupart maîtrise aussi bien le français qui est langue officielle. Les femmes sénégalaises n’ont plus rien à voir avec le standard de beauté du Sahara : elles sont toutes fines et s’habillent avec des robes de couleur très élégantes.

Nous arrivons ensuite à St Louis, ancienne capitale de l’AOF construite sur deux îles. Nous y restons deux nuits. L’ambiance et le climat y sont très agréables malgré les attrapes touristes qui sont toujours là pour “t’aider”. Nous tombons par hasard sur d’impressionnantes courses de pirogues de toutes les couleurs. Une cinquantaine d’hommes pagaient comme des fous furieux pour remonter le fleuve Sénégal, très impressionnant mais pas d’une grande efficacité : on va plus vite en marchant !

Les pirogues de St Louis





De passage à St Louis, nous tentons de nous approcher du parc national de la Langue de Barbarie en vélo. Echec, nous tombons bien vite sur une immense plage de sable. Mieux vaut accéder au parc en pirogue, même si nous voyons tout de même plein d’oiseaux et un varan du coin d’environ 1m20.




Course de pirogues

Avec Demba le cycliste
A la sortie de St Louis, nous nous faisons escorter sur une vingtaine de kilomètres par Demba, jeune cycliste du club de St Louis rentrant de son entrainement quotidien. Maillot, cuissard, casquette, le look suprême ! Il nous raconte qu’il travaille depuis l’âge de 14 ans comme tailleur au centre ville car l’école ne lui laissait pas le temps de faire du vélo comme il voulait. Il s’entraîne pour un jour participer à des compétitions internationales comme deux de ses camarades participant actuellement au tour du Cameroun, et peut être un jour, aller rouler en Europe. Il est fan du Tour de France et nous énumère ses coureurs favoris !
 





La chaleur humide se fait vite sentir et nous mangeons plusieurs pastèques par jour ! Il y a des stands tous les deux kilomètres et le kilo de pastèque ne coûte même pas 8 centimes d’euro ! Nous carburons également aux petits sachets d’eau purifiée bien fraîche que l’on trouve partout, une alternative à notre eau à 40 degrés vite devenue imbuvable.








traversée de zébus
Les oiseaux chantent de partout et nous apercevons nos premiers baobabs. Autre interrogation sur la route : qui est cet homme vêtu de blanc dont la peinture est partout sur les murs des maisons, sur les taxis, les bus, etc… ? Nous apprenons qu’il s’agit du marabout Amadou Bamba dont la secte est très active au Sénégal (à priori tous les chauffeurs de taxis en font partie !). La pratique de l’islam change de celle de la Mauritanie et les petits talibés (disciples des marabouts) mendient partout dans les rues avec leur boîte de conserve.



Quand même, il faut le dire, nous avons beaucoup souffert entre St Louis et Louga (environs70 km), pas pour la chaleur ni pour le vent de face, mais bien pour des gens très agressifs. Nous étions habituées à ce que les enfants nous courent après en nous criant “donne moi un stylo, donne moi un stylo” au Maroc et en Mauritanie, mais là au Sénégal, on passe à une vitesse supérieure. Tout d’abord, que l’on soit française ou argentine, on est Toubab (blanc) et il faut savoir que le toubab est très très riche (même un toubab à vélo avec des habits tout sales et une tête hyper fatiguée). C’est pourquoi, on ne nous demande plus “donne moi un stylo”, mais on nous poursuit en courant en nous disant “donne moi de l’argent” ou encore “donne moi ton vélo !”. Mais si seulement ça n’était que les enfants : cela arrive même que des adultes sautent de leur mobylette en nous demandant de l’argent. Si bien que cela devient un peu flippant… Cette nuit là, nous n’osons pas demander à planter la tente en famille et préférons terminer dans une auberge où nous plantons la tente sur le lit double pour se protéger des moustiques !


Heureusement, les jours suivants tout se passe beaucoup mieux, plus de manifestations hystériques à notre passage et nous pouvons saluer les gens normalement. Comme quoi, c’est aussi à nous de faire attention à l’image que nous voulons donner et souffrons un peu du stéréotype du blanc qui vient distribuer du matériel scolaire et des T-shirts sans se soucier du déséquilibre que cela crée dans l’économie locale ni la dépendance envers la population. Ibrahima à Nouakchott nous disait la même chose car sa pompe à pédale subissait mal la concurrence des motos pompes installées par des associations européennes, poussant les villages à la passivité. Dans le même registre, faute de réponse, nous passons sans nous arrêter à Thies où une usine rachète certains déchets plastiques à des femmes pour le recycler et en faire du matériel scolaire, comme quoi, des solutions plus durables peuvent être trouvées localement.

projection en famille
Sur la route de Dakar, nous réalisons également notre première projection en famille. Alors que la nuit tombe, nous demandons à planter dans un village. On nous emmène chez Demba, le chef du village qui accepte généreusement que l’on plante dans sa concession. Le soir, tous les enfants du village sont là pour pédaler, au programme : Kirikou et la sorcière. Certains connaissent déjà le film mais les plus petits le découvrent avec plaisir. Les plus habiles en français traduisent même en Wolof. Eclats de rires en voyant le grand père danser près de la source, tout le monde est ravi et nous aussi ! Nous mangeons un peu de mil et partageons la pastèque que nous avons amenée. La cuisinière vient nous voir après et nous demande si nous n’avons pas encore faim. En effet, les rations étaient très légères mais impossible de dire que l’on a encore le ventre qui gargouille. Elle nous explique que le mari travaille mais n’a pas encore reçu son salaire… Pas de viande ni de légumes au menu depuis un moment…
chef du village à droite




Les 70km entre Thiès et Dakar n’ont pas grand intérêt. La circulation est très dense et on passe notre temps à zigzaguer entre les voitures. Au final, en bus, on n’irait pas bien plus vite… Dur dur de se dire que nous allons devoir pédaler tout ça de nouveau !





Et nous voilà donc à Dakar, à l’extrême ouest du continent africain chez Evgenia, une russe que nous avons rencontrée sur Couch surfing et qui nous accueille gentiment dans sa famille pour ces quelques jours. Nous recevons également un paquet venu tout droit de France, concocté par la maman Mercat et confié à un ami qui faisait justement Chambéry-Dakar ces jours ci. Nous savourons donc notre Noël à nous avec du chocolat Lindt et un bon maté pour Lucia !               
Aux abords de Dakar